Que dit l’indicateur horaire d’Air France en 1956 ?
En juin 1982, par curiosité, j’avais analysé l’indicateur horaire d’Air France de l’été 1956. J’avais ensuite publié un article dans la revue « Entre voisins » diffusée auprès des communautés riveraines par Aéroports de Paris.
Cet article intitulé « Horaires en filigrane » est disponible dans sa version originale ici. Je l’ai adapté et complété, ci-dessous, pour une lecture plus moderne sur mon blog.
L’indicateur horaire d’Air France de l’été 1956
L’indicateur d’horaires est un document qui donne beaucoup d’informations sur l’état d’une compagnie. En effet, il révèle l’étendue du réseau, l’importance du trafic avec le nombre de fréquences, la flotte utilisée ainsi que la tarification.
En analysant l’indicateur général d’Air France de la saison d’été 1956, on a une photographie de la compagnie nationale au moment de l’apogée des avions à hélices. En 1982, au moment où je publie mon article, c’est-à-dire l’espace d’une génération, la compagnie avait bien changé…
En 1956, l’indicateur se présente sous une couverture rouge avec le dessin d’un Super-Constellation tournant autour de la Terre. La vitesse et l’impression que le monde est devenu petit grâce à l’avion sont encore des thèmes évocateurs qui frappent l’imagination du voyageur.
L’année 1956 avec une croissance de 22 % avait été faste pour la compagnie nationale. Le Monde a conservé l’article de l’époque qui retranscrit la conférence de presse du Président d’Air France de l’époque Monsieur Max Hymans.
Une grande partie des illustrations provient du musée d’Air France une entité qui joue un rôle très important pour conserver la mémoire d’Air France et plus largement du transport civil en France. Pour la petite histoire, l’idée de l’article était née en 1982 lorsque j’étais tombé, par hasard, sur l’indicateur Air France de 1956 dans les archives de mon grand-père !
Tous les textes en couleur corail indiquent un lien interne ou externe.
Les avions d’Air France en 1956
Le Super-Constellation est le fleuron de la compagnie sur les lignes long-courriers, il peut voler à une vitesse de croisière de 480 km/h, sur des étapes de 4 000-5 000 km. Sa charge marchande est de 7 650 kg. Les appareils d’Air France sont aménagés de façon très diverses pouvant accueillir de 32 à 99 passagers.
Le Constellation est une version un peu plus ancienne, plus petite et avec un rayon d’action plus court. C’est un avion que je trouve très élégant.
Le Vickers Viscount (première image) et le Douglas DC 4 (deuxième image) sont les appareils des liaisons européennes. Ils sont équipés de quatre turbopropulseurs qui leur donnent une vitesse de croisière de 480 km/h. Dans leur version la plus commune, ils transportent de 46 à 49 passagers sur des étapes maximales de 2 800 à 3350 km.
Le Breguet deux ponts Provence (image ci-dessous) et le Douglas DC3 sont utilisés pour des liaisons courtes avec un confort plus rudimentaire.
Un réseau déjà mondial
L’indicateur horaire de 1956 s’ouvre sur une carte du réseau long-courrier de la compagnie Air France représenté par les lignes avec un trait plein.
Il faut remarquer que le réseau, d’une étendue assez remarquable, a déjà pris sa forme presque définitive.
Depuis, la compagnie a complété ses dessertes plus qu’elle n’a créé de nouvelles lignes.
Les accords de partenariat en continuation avec d’autres compagnies sont figurés par des lignes en pointillé.
L’Atlantique Nord avec le célèbre « Parisien Spécial »
La reconstruction d’après-guerre a été favorable à une forte expansion du trafic aérien entre l’Europe et le Nouveau Monde.
Air France exploite déjà une ligne à fréquence quotidienne vers New York grâce à des Super-Constellation.
Le vol AF 071 décolle d’Orly à 22 h pour atteindre New York le lendemain à 9 h 20. Le temps de vol est de 16 h 20, avec une escale technique prévue à Gander (Canada) en fonction des conditions atmosphériques.
Depuis 1953, il est prolongé de New-York à Mexico en 8 h de vol.
Deux fois par semaine, le vol AF 061 relie Montréal et Chicago.
Pour aller à Los Angeles il faut encore une correspondance sur une compagnie américaine, que l’on prend à New York ou à Chicago.
Sur l’Atlantique Nord le voyageur a le choix entre la confortable classe touriste ou la luxueuse première classe avec ses fauteuils-couchettes que les compagnies redécouvrent dans les années 80.
Moyennant un supplément, il est même possible de dormir dans des vrais lits.
N’oublions pas de signaler le célèbre « Parisien spécial », service de grand luxe qui n’emporte que 32 voyageurs tous les jeudis de Paris vers New York.
Ces extraits d’une brochure publicitaire d’Air France donnent une bonne idée du service offert à bord.
La forme utilisée donne l’impression de nous plonger dans une BD de Blake et Mortimer !
Les Antilles et l’Atlantique sud : un réseau balbutiant
Les Antilles ne sont reliées que deux fois par semaine via Santa Maria, aux Açores, ainsi que l’Amérique Latine via Dakar.
Sur les traces de Mermoz et Saint-exupéry, on rejoint Buenos-Aires, deux fois par semaine, en 32 h 50 et avec 5 escales : Madrid, Dakar, Rio de Janeiro, Sao Paulo et Montevideo.
Le continent Sud-Américain est encore à l’écart des grands échanges commerciaux aériens.
La longue route de l’Extrème-Orient
Cinq fois par semaine, des Constellation et des Super-Constellation partent à destination de Saïgon tout en desservant le Moyen-Orient et les Indes.
Les escales sont nombreuses. Par exemple, le lundi le vol AF234 pour Saïgon s’arrête à Nice, Rome, Beyrouth, Baghdad, Karachi et Calcutta !
Le mercredi et le dimanche, le vol AF 172 est prolongé depuis Manille jusqu’à Tokyo.
Quand il faut plus de 32 h pour rejoindre la nouvelle république du sud-Vietnam, le supplément lit de 19 300 Anciens Francs (AF) semble vite amorti par rapport au prix du billet ! (Première : 232 300 AF ; touriste : 168 600 AF). A cette époque, le salaire moyen annuel d’un cadre est d’environ 116 00 AF ! (source : Persee.fr).
On comprend pourquoi on ne partait pas pour une semaine de vacances en Thailande comme aujourd’hui ! Il fallait être très fortuné pour prendre l’avion.
Pour un voyage aussi long, le confort et le luxe sont appréciés des passagers !
La fréquence des dessertes, peu importante en général, si l’on excepte les relations avec l’Amérique du Nord, montre que les échanges internationaux par avion sont encore peu développés.
Par exemple, en 1956, Air France ne propose que deux relations par semaine avec le Japon avec des L.1049 de 70 places environ. En 1981, elle offre sur la ligne quatre liaisons hebdomadaires en B 747 de 400 places. En 2019, juste avant la crise du Covid, Air France propose trois fréquences quotidiennes vers Tokyo !
La faiblesse des dessertes sous-entend aussi que le voyage maritime tient encore une place importante. D’ailleurs l’indicateur souligne la possibilité d’acheter des billets A.R., aller par air et retour par mer ou vice-versa.
Un détail amusant : Air France ne dessert pas l’Arabie Saoudite et les Emirats. Le pétrole ne fait pas encore voler les hommes d’affaires !
Relier les colonies à la France et entre elles
Les autres lignes long-courriers desservent Madagascar et les îles de la Réunion et Maurice, ainsi que l’Afrique Occidentale et Équatoriale Française (lignes exclusivement desservies par UTA dans les années 80).
Air France propose de nombreuses dessertes locales en Afrique occidentale qui s’articulent autour des villes de Dakar, Bamako, Niamey, Kano, Douala, Fort-Lamy (aujourd’hui N’Djamena) et Brazzaville, elles-mêmes directement reliées à la France.
Les appareils utilisés sont essentiellement des DC 3 et des DC 4.
Air France a aussi la charge du réseau local malgache et de celui des Antilles et de la Guyane.
L’indicateur indique aussi les dessertes locales des compagnies suivantes dont Air France participa à la création et au capital : Air Atlas (Maroc), Air Tunis, Air Vietnam et Air Liban.
L’Afrique du Nord : une forte intégration avec la France
L’Afrique du Nord est étroitement reliée à la France. En effet, les liaisons partent non seulement de Paris mais aussi de villes de province comme Nantes, Mulhouse ou Ajaccio.
Alger est une importante base d’Air France d’où partent les vols vers le Sahara (jusqu’à Tamanrasset), vers le Maroc via Oran et vers la Tunisie via Philippeville (aujourd’hui Skikda), Constantine ou Bône (aujourd’hui Annaba).
On vole sur des DC 3, DC 4, Bréguet deux ponts et des Constellation. L’indicateur horaire est imprégné d’histoire et retrace une volonté politique de l’époque d’intégration des colonies à la France.
La France métropolitaine : un territoire à défricher par avion
Paradoxalement la France métropolitaine est encore très mal desservie.
Air Inter n’existe que sur le papier et ne commencera vraiment une exploitation régulière qu’en 1960.
De plus, le train est encore un redoutable concurrent grâce à un réseau ferré très dense.
Nice, Marseille, Bordeaux et Toulouse ne sont encore que des escales intermédiaires entre Paris et l’Afrique (1 à 3 relations quotidiennes). Lyon est relié une fois par jour à la capitale. Le départ de Paris est à 20 h 30 et de Lyon à 7 h 50. Le vol dure 1 h 30 en DC 4.
Pour aller en Corse il faut changer d’avion à Marseille ou à Nice. Biarritz, Dinard et la Baule ont des fréquences saisonnières vers Orly.
L’Europe : un développement inégal
En Europe, le réseau est inégalement développé.
La ligne Londres Paris a déjà une longue histoire derrière elle. Air France propose jusqu’à 12 services par jour essentiellement en Vickers Viscount.
Il est étonnant de voir que le temps de vol n’était que d’une heure quinze. Aujourd’hui, à cause de l’encombrement des aéroports et du ciel, le temps de voyage est plus long !
Nice est aussi relié à Londres. Air France y pratique un tarif de nuit aller-retour, précurseur des tarifs excursion (26 460 AF au lieu du tarif normal de 35 100 AF). Le vol part à 4 h 50 de Nice et arrive à 7 h 50 sur les bords de la Tamise. Dans le sens contraire, il décolle à 23 h 10 et atterrit à 1 h 55.
La Baule, Dinard et Deauville sont aussi reliés à Londres en été.
En semaine, toutes les nuits, il existe déjà un trafic de fret grâce à un DC 3 tout cargo.
Air France a des liaisons privilégiées en Allemagne grâce à sept escales. Les Alliés sont encore bien installés chez le voisin d’Outre Rhin et la Lufthansa ne vole de ses propres ailes que depuis un peu plus de deux ans.
Par contre, le reste de l’Europe est encore mal desservi par la compagnie nationale. Des villes comme Belgrade, Venise, Manchester ou Oslo ne sont pas encore des destinations Air France.
La compagnie a passé des accords de pool, comme par exemple avec la KLM qui assure seule le trafic Paris-Amsterdam. Un clin d’oeil de l’histoire qui prendra sens lorsque le groupe Air France KLM se formera en 2003 !
Aller à Moscou par la voie des airs n’est pas très pratique. Il faut décoller à 9 h 40 d’Orly avec un Vickers Viscount d’Air France qui rejoint Prague et, de là, prendre un Ilyushin 12 de l’Aeroflot qui atteint Moscou à 23 h après une escale à Vilno (Vilnius aujourd’hui).
Au retour, le voyage est aussi long comme on le voit sur l’extrait ci-dessous de l’indicateur horaires.
En 1956, on peut aller à Stockholm en 4 h 40 avec une escale à Copenhague.
En partant à 8 h 30 de Vienne on est à 12 h 15 à Paris après un arrêt à Munich. L’Orient Express est définitivement vaincu !
Sur la majorité des services Europe la compagnie ne propose qu’une classe unique.
Une grille tarifaire simple mais très élevée
L’étude des tarifs de l’indicateur de 1956 fait apparaître qu’il existe très peu de réductions. Signalons l’existence du billet aller-retour comportant une réduction de 10 %, une validité réduite de 8 à 30 jours, ainsi que le tarif de nuit.
La grande place que tient la Première classe sur les long-courriers fait que le transport aérien conserve une image de grand luxe et de prestige considérable. Toutes proportions gardées, on peut comparer la classe touriste à la classe affaire actuelle. En effet la classe économique n’existe, sous le nom de Seconde classe, que sur les relations avec l’Afrique du Nord.
Ainsi, l’indicateur montre de façon très nette le caractère encore élitiste de l’aviation commerciale même si une publicité pour partir en vacances avec Air France se glisse dans l’indicateur !
Il faudra attendre l’arrivée du Boeing 707 et de la Caravelle en 1959 pour que l’indicateur d’Air France commence à intéresser une clientèle plus large.
D’ailleurs, l’indicateur de l’été 1956 communique déjà sur l’arrivée prochaine des jets !
30 ans plus tard dans les années 80
Dans les 30 années qui ont suivi 1956 le transport aérien a été métamorphosé avec l’arrivée des jets puis des avions gros-porteurs comme le Boeing 747 ou l’Airbus A300.
Les années 80 sont une phase de maturité pour le transport aérien que je raconte dans un autre article intitulé : « Était-ce mieux de prendre l’avion dans les années 80 ? »
Bonsoir. J’ai trouvé votre article en essayant de déterminer l’équivalent du prix actuel du vol Paris /Madagascar avec le prix du vol que j’ai effectué en 1955 sur Constellation !! J’avais 8 ans !
Bien loin des 800/1000euros pour un AR en 2024….
Merci. Vous lire est passionnant.
Votre article est magnifiquement documenté, merci beaucoup !
Quelle émotion en voyant le Bréguet deux-ponts (peut-être celui de la photo) que j’ai pris avec ma famille en 1956 de Tunis à Marseille. J’avais 40 jours et ce fut un baptême de l’air qui augura peut-être d’une partie de ma vie au service d’Air France…
Merci !
J’ai fait Paris Brazzaville en février 1953. J’avais 4 ans. J’en ai quelques souvenirs si ça vous intéresse.