Une approche du voyage à travers les générations

Je suis né dans les années 60 ce qui m’a permis de vivre tout au long de ma vie une véritable révolution dans l’art de voyager.

À mon âge, j’ai déjà pu côtoyer plusieurs générations qui ont eu, de par leur époque, eu une approche différente du voyage. Chacune d’entre elles a influencé la façon de découvrir le monde à celles qui suivaient.

Je vous invite à une petite réflexion sur le sujet.

Pour analyser l’évolution du voyage en Europe de l’Ouest à travers les générations un graphique sera plus éloquent que n’importe quel discours.

J’ai superposé la croissance du voyage international avec l’age moyen de chaque génération.

La croissance du voyage international a été phénoménale en passant  de 25 millions de voyageurs en 1950 à près de 1 milliard 200 millions en 2019.

Il est intéressant de remarquer que cette explosion de la demande de voyage a coïncidé à un âge différent pour chacune des générations qui se sont succédé. Cela explique, en partie, pourquoi elles ont eu une approche contrastée par rapport au voyage.

Comme toute segmentation, celle-ci est simplificatrice, mais elle a pour objectif de mettre en évidence ce qui est caractérisé, de mon point de vue, une génération par rapport à une autre.

Evolution du nombre de voyageurs internationaux selon les générations

La génération dite «grandiose» née entre 1905 et 1925

C’est la génération de mes grands-parents. Elle a connu les deux guerres mondiales et la naissance de l’aviation commerciale.

Le monde reste encore inaccessible hormis pour une poignée d’aventuriers et explorateurs. Seule l’élite a la possibilité de voyager à l’étranger pour le plaisir. Les coûts de transport sont prohibitifs. C’est l’époque des voitures-lits et des paquebots ultra-luxueux. Les empires coloniaux des pays européens font rêver avec leurs images d’Épinal, mais peu les visitent réellement. Du coup, dans l’esprit de nos grands-parents il y a une idéalisation de ces terres exotiques lointaines.

Les classes moyennes ne voyagent que par nécessité, par exemple, pour émigrer vers les États-Unis ou les colonies avec l’espoir d’une vie meilleure. Les congés payés ne sont instaurés en France qu’en 1936. Le premier voyage pour beaucoup de nos anciens est tout simplement d’aller découvrir la mer !

Mes grands-parents maternels, dans leur vingtaine, jeunes mariés, partaient en vacances en vélo à la fin des années 20. C’était considéré comme de l’avant-garde à l’époque. Ce n’est qu’à leur retraite, dans les années 70, qu’ils iront en voyage comme nous le définissons de nos jours. Ils feront des voyages organisés en groupe dans des pays proches en Europe et autour de la méditerranée.

Pour cette génération, le voyage par les livres est important. Les voyages imaginaires du XIXe siècle de Jules Vernes, les romans d’aventures de Joseph Kessel ou de Jack London ont fait rêver nos grands-parents. Antoine de Saint-Exupéry donne vie à la grande épopée de l’Aéropostale avec le remarquable « vol de nuit » publié en 1931.

Cette génération a aujourd’hui presque disparu, mais elle a semé les germes du désir de voyage chez ses héritiers.

La génération dite «silencieuse» née entre 1925 et 1945

C’est la génération de mes parents. Ils ont connu, enfant ou adolescent, la Seconde Guerre mondiale. Ils ont été marqués par les horreurs et les privations de celles-ci. Pour beaucoup le premier grand voyage a été l’exode sur les routes de France. Il y a aussi le voyage tragique des déportés pour qui ce sera le dernier.

Mais la fin du conflit a coïncidé, pour cette génération, avec leurs vies de jeunes adultes. C’est avec énergie et une forte volonté de travail qu’ils ont contribués à la reconstruction des pays européens. Ce sont eux qui ont généré le baby-boom des années 50.

Pour cette génération, le voyage a commencé de façon parfois dramatique avec les guerres de la décolonisation. Avec notamment, celle d’Indochine dans les années 50 et la guerre d’Algérie à la fin de la même décennie. Ce sont des appelés et non des militaires professionnels qui sont envoyés au front. C’est important de s’en souvenir pour aussi relativiser les difficultés des générations suivantes.

Pour cette génération, le voyage reste longtemps synonyme de danger. Les routes sont encore périlleuses (16 000 tués en 1970 comparés à 3500 en 2017) et les accidents d’avion défrayent souvent la chronique dans les années 50 et 60. La situation sanitaire dans une grande partie du monde est encore peu rassurante.

Ce n’est qu’après leur cinquantaine, voire à la retraite, que cette génération a connu une approche du voyage plus positive et moderne. Elle est donc moins aventureuse que les générations nées après elle. Le voyage indépendant n’est choisi que dans des pays faciles surtout en Europe. Elle laisse le soin à des tour-opérators lui organiser ses voyages dans les pays les plus lointains. C’est aussi l’époque où le concept du ClubMed est inventé par Gilbert Trigano.

Cette génération n’a connu internet qu’après l’âge de la retraite. Nombreux se sentent un peu largués par les nouvelles technologies.

Mes propres parents, membres de cette génération, étaient plutôt d’avant-garde avec notamment ma mère qui est parti 1 an à Tahiti en 1951 (voyage que je raconte là), puis a été hôtesse de l’air basée à Alger entre 1957 et 1961. Mon père a parcouru le monde dans le cadre de son travail d’ingénieur.

La génération des «Baby-Boomers» née entre 1945 et 1960

Une génération qui a bénéficié d’un joli concours de circonstances. Née après 45, elle n’a connu que la guerre froide qui heureusement n’a pas dégénéré en conflit armé mondial. Elle est rentrée dans la vie active avec le plein emploi, a eu de belles carrières et est partie en retraite jeune et dans de bonnes conditions matérielles. C’est aussi la génération qui a permis une certaine libération des mœurs après mai 68.

Les « baby-boomers » ont été la première génération à pouvoir voyager de par le monde dès leur jeunesse. Cela a commencé dans les années 70 avec les chemins de Katmandou du mouvement hippie. Mais contrairement aux idées reçues, seule une petite partie des « baby-boomers » ont tenté l’aventure.

L’arrivée des gros-porteurs comme le Boeing 747 a déclenché la démocratisation du transport aérien avec des tarifs qui seront toujours de plus en plus bas jusqu’à nos jours. Les voyages se font de plus en plus lointains et prennent des formes diversifiées. Du séjour packagé en hôtel au voyage indépendant en passant par la croisière, les circuits découvertes. En France, c’est Jacques Maillot avec la création de Nouvelles Frontières qui inaugure cette nouvelle façon de voyager.

Le voyage pour cette génération ce sont avant tout des catalogues et les guides papier, une relation étroite avec des professionnels comme les agences de voyages pour préparer leurs vacances. Internet qu’ils ont connu tard est resté un média secondaire pour eux. Ils s’en servent plus compléter la préparation d’un voyage en allant, par exemple, voir la météo ou s’enregistrer pour leur vol.

Les conditions environnementales ont été pendant longtemps secondaires pour cette génération. C’est celle qui a créé les usines à ski dans les Alpes ou les énormes complexes hôteliers aux Canaries ou en Tunisie. Cela lui sera reproché plus tard par les plus jeunes générations qui oublient cependant que les « boomers » leur ont permis de commencer leur vie dans des conditions matérielles, économiques et sanitaires inconnues par le passé. Si le voyage à travers la planète est devenu facile, c’est aussi grâce aux « boomers » même s’ils n’en ont pas mesuré toutes les conséquences.

Un peu trop jeune pour considérer que c’est pleinement ma génération. C’est avant tout celle de plusieurs de mes oncles et tantes et d’une partie de mes amis.

La génération X, «trait d’union», née entre 1960 et 1980

Ah la génération X coincée entre les « boomers » et les « millenials ». On l’a dit, à tort, « perdue » car elle n’a pas bénéficié des 30 glorieuses et n’est rentrée dans l’ère digitale qu’à l’âge adulte.

Et si sa richesse était plutôt d’être le lien entre ces deux générations ? Encore suffisamment jeune pour adopter les nouvelles technologies, mais avec assez d’expérience pour s’en passer ? C’est ma conviction et mon vécu.

Un exemple : Pour retrouver son chemin, un « boomer » se servira avec facilité d’une carte routière alors qu’un « millenial » ne jurera que par son GPS… qui pourra l’induire en erreur à cause de fausses informations. La génération X est à l’aise avec les deux outils qui sont complémentaires.

La génération X se sont, d’abord, les héritiers de mai 68. Ils en ont gardé l’esprit de liberté, mais avec une plus grande conscience des contraintes économiques à cause des crises qu’ils ont traversées au cours de leurs vies professionnelles. Elle a conscience que le voyage est quelque chose d’extraordinaire et que la possibilité donnée à un large public de découvrir le monde est un phénomène récent.

C’est la génération qui a vécu la chute du mur de Berlin avec l’incroyable changement des équilibres géopolitiques dans le monde. Ses premiers voyages se sont faits sans internet avec le « guide du routard » comme seul outil d’information. Un vrai sens de l’aventure qu’à connu cette génération et qui s’est un peu perdu.

Son approche du voyage est aujourd’hui cependant plus similaire à celle des « millenials » que des « boomers ». C’est la première génération qui est partie à la découverte du monde. Elle a été été motivée par leurs enfants nombreux à partir pour un séjour universitaire ou de travail à l’étranger. L’univers de l’entreprise de plus en plus international a joué aussi un rôle auprès de la génération X dans le développement de son appétit pour le voyage.

La génération X est celle qui a connu l’aventure du Concorde, l’incroyable essor d’Airbus, le maillage de la France avec le TGV, mais aussi l’abandon des trains de nuit.

La génération X est celle qui a donné plus d’importance au temps libre, donc au voyage, qu’au travail.

Elle a perdu certaines illusions. Le monde de demain ne sera pas forcément meilleur comme pouvaient le penser les « boomers ». Il sera juste différent.

Cette génération est plus à l’aise en tant qu’utilisateur du digital que comme acteur. Elle en garde un certain complexe par rapport aux plus jeunes. Ainsi elle se servira de tous les outils que lui offrent internet pour préparer un voyage, mais ne s’y exprimera pas au titre de blogueur ou vlogueur, par exemple.

Née au début des années 60, la génération X est la mienne. Plutôt que « perdue » je pense que sa vraie dénomination est d’être un « trait d’union ». C’est une génération qui mérite un autre regard notamment de la part des « boomers » et des « millenials ».

La génération Y dite «Millenials» née entre 1980 et 2000

La génération des blogs de voyages ! À l’aise avec les nouvelles technologies. C’est celle de nos plus jeunes de nos amis et des enfants de nos premiers camarades.

Cible marketing, jusqu’à l’excès, de beaucoup d’entreprises ces dernières années.

Le terrain de jeu des « millenials » est le monde. Ceci de façon naturelle et évidente puisqu’ils n’ont connu qu’une planète devenue accessible presque partout avec un transport aérien bon marché et une information abondante grâce à internet pour préparer son voyage.

C’est une génération qui trouve normal d’aller étudier ou travailler à l’étranger. Le programme Erasmus a été un vrai booster. Cible des compagnies « low-cost » elle a profité au maximum du transport aérien transformé en une commodité.

Les « millenials » sont en quête de sens. Travailler ? Mais pourquoi ? Voyager, mais préserver la planète ? Imaginatifs, ils inventent de nouveaux concepts, par exemple, gagner sa vie comme « digital nomad ». Mais ils sont aussi confrontés à leurs propres contradictions : ils veulent respecter l’environnement tout en gardant leurs habitudes de gros consommateurs.

Est-ce que leur destin sera le miroir inversé de ce qu’a vécu la génération « silencieuse » qui a eu une jeunesse difficile, mais une deuxième partie de vie plus douce ? L’avenir le dira, mais on sent qu’il y a de nombreux défis qui s’annoncent avec le changement climatique, la crise sanitaire, les excès du libéralisme ou du tourisme de masse. Ce sont les « millenials » qui seront aux commandes dans les deux décennies à venir.

La génération Z née entre 1995 et 2010 et la génération Alpha née après 2010

Ce sont les générations montantes. Il est trop tôt pour savoir quelles seront leurs façons de voyager. Ce que l’on peut déjà dire est qu’elle sera marquée inévitablement par les contraintes environnementales de plus en plus fortes.

On peut aussi se demander quels enseignements elle va tirer de la crise du Covid-19. En 2020, le monde s’est refermé brutalement comme il ne l’avait plus été depuis la Seconde Guerre mondiale. Il va se rouvrir, mais quand ? Comment ? L’aventure du voyage va continuer, mais sous quelle forme ?

Dépassons les différences générationnelles !

Le petit voyage intergénérationnel que je vous ai proposé a mis en évidence les disparités générationnelles. Mon intention était avant tout de vous faire prendre conscience de l’incroyable évolution de notre rapport au voyage en l’espace de trois à quatre générations.

Mais je vais vous demander de relativiser cette approche, aussi séduisante soit-elle !

D’abord, c’est une lecture partielle de la société. Elle s’applique à une population d’Europe de l’Ouest plutôt éduquée et intégrée dans la mondialisation. Or, il y a une part importante de nos sociétés qui se sent exclue de ces évolutions. Le voyage, par manque de moyens et d’éducation, ne fait pas partie de leurs vies. Le mouvement des « gilets jaunes » nous l’a rappelé bruyamment.

Second point, les générations ne sont pas hermétiques, mais forment un continuum. Être de la génération X, cela veut dire être né entre le début des années 60 et la fin des années 80… Ce qui ne correspond pas tout à un vécu homogène !

Derrière les générations, il y a des individus. Nous connaissons tous des « boomers » digital-minded et grands voyageurs, mais aussi des « millenials » casaniers et réfractaires aux nouvelles technologies. L’approche générationnelle est juste une clé de lecture pour mieux comprendre les évolutions sociétales avec un focus autour du voyage depuis ces dernières décennies.

Enfin, cet article n’est pas une étude scientifique ou sociologique. C’est ma perception en tant que « Gen X » qui a côtoyé pendant sa vie ses semblables nés entre le début du XX et du XXI siècles.

Et vous, qu’en pensez-vous ? Comment vous voyez vous ? Faites-moi part de votre avis dans les commentaires ci-dessous !

Les dessins ont été créés par Tartila sur freepik.com

1 commentaire

  1. Je fais complètement partie de la génération x. À la fois coincée par une éducation de milieu ouvrier très conformiste, te dirigeant très vite sur un schéma mariage/ enfants, et une pulsion de vie, un désir d’aventure qu’il fallait absolument réfréner d’autant que tu es une fille.
    L’émancipation s’est faite vers 40 ans, mes 4 enfants avaient grandi. C’est le moment où j’ai pu partir seule au Brésil et en Inde. J’ai bien conscience que pour la majorité des filles autour de moi faire autrement était impossible. J’ai eu la chance par la suite de pouvoir faire des études, est-ce que ça a fait la différence ?
    J’ai toujours gardé cette envie de partir du jour au lendemain. Aujourd’hui je le fais encore plus facilement avec mon compagnon.

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