Portrait de Sophie : Propriétaire d’un gite en Guadeloupe
Parfois, un simple voyage se transforme en un grand départ. C’est ce qui s’est passé pour ma cousine Sophie Cherki qui, en 1990, pensait aller aux Antilles pour six mois mais finalement par un concours de circonstances y a fait sa vie !
J’ai pensé intéressant de vous raconter son histoire à travers une interview qui montre que le voyage peut se mêler étroitement à la vie. Son parcours vous passionnera d’autant plus qu’elle est maintenant propriétaire d’un gite en Guadeloupe et qu’elle a de bons tuyaux à partager avec vous pour un séjour réussi dans l’île papillon.
Avec Sophie, nous sommes presque jumeaux puisque nous avons moins d’un mois d’écart. D’où une certaine complicité entre nous qui est restée malgré la distance et le temps qui passe.
Bonjour Sophie ! Tu vis en Guadeloupe depuis plus de 30 ans. Avais-tu rêvé de venir habiter ici ? Raconte-moi pourquoi et comment es-tu venue ici ?
Venir en Guadeloupe ? Je ne l’ai absolument pas décidé du tout ! Cela a été un concours de circonstances. Les 10 dernières années avant d’arriver ici, j’étais à Toulouse, j’avais toujours dans un coin de ma tête de vivre au bord de la mer, mais surtout pas sur une île et surtout pas aux Antilles dont je n’avais pas une très bonne image. J’étais infographiste à Toulouse, j’ai été licencié et donc je suis parti vivre à Vallauris près de Cannes. Je travaillais dans un magasin de poterie à Vallauris. Enfin, tu vois, ce n’était pas le pied.
J’avais commencé à naviguer l’année d’avant et c’est vrai que j’aimais bien ça, j’avais envie de travailler sur les bateaux. J’avais déjà fait quelques convoyages qui m’avaient plu. Et puis un soir, ça faisait déjà 4 mois que je vivais sur la Côte d’Azur, un ami skipper de Toulouse m’appelle et me dit la semaine prochaine je pars en Martinique récupérer un bateau dont j’aurai le commandement. Un bateau de charter, un beau voilier de 22 mètres de long. Il me dit voilà, si tu veux, tu as le poste d’hôtesse, mais tu dois me donner ta réponse demain matin et on s’envole dans quelques jours ! J’ai réfléchi 2 minutes, mais dans ma tête c’était clair que j’allais dire oui !
Mon contrat était de six mois. J’ai laissé les clés de mon appartement de Vallauris à un ami pour qu’il en prenne soin, car j’avais bien prévu de revenir !
Sauf que nous sommes en 2022 et tu es toujours aux Antilles. Que s’est-il passé ?
À la fin du contrat, j’ai changé de boite et j’ai travaillé comme hôtesse sur les voiliers pendant 7 ans.
Parle-moi te ton métier d’hôtesse de voilier. En quoi consistait-il ?
J’accueillais les clients, je m’assurais de leur confort et leur cuisinais les repas. Je bossais à peu près 8 mois par an. En juillet, c’étaient les arrêts techniques pour la maintenance des bateaux puis la saison cyclonique. Puis en novembre, c’était reparti pour 8 mois de mer. C’était très intensif.
Qu’est-ce qui t’a plu pendant ces 7 ans de navigation ?
Ce qui m’a plu, c’est que ça m’a permis de bien connaître toutes les Caraïbes, depuis le Venezuela jusqu’aux îles Vierges en passant par la Grenadine et Sainte-Lucie. Sans ce métier, je n’aurais jamais pu le faire.
Après, c’était quand même très difficile parce que tu te tapes des journées de 7 h le matin à 22 h le soir non-stop. Heureusement, les clients étaient en général sympas. Ce n’étaient pas des croisières de luxe et donc nous avions des gens normaux. Mais bon, nourrir 10 personnes à longueur d’année sur un bateau c’est éreintant. Cependant, à l’époque, c’était intéressant financièrement et en plus tu ne dépenses rien ! Tu fais plein d’économies.
,Et après ces 7 ans de voilier que s’est-il passé ? En as-tu eu assez ? Qu’as-tu fait ?
Pas du tout ! J’adorais mon métier, mais j’ai rencontré Didier, un skipper, qui est devenu le père de mon fils Sébastien. C’est à ce moment-là que j’ai arrêté, car avec un petit bébé il n’était plus question de continuer ce métier !
Après, j’ai eu une vie professionnelle multiple. J’ai commencé à travailler à terre. D’abord pour Stardust Marine qui était la toute première compagnie, pour laquelle j’étais venu. Les vendredis, samedi, dimanche j’étais au bureau. Je gérais les skippers, les hôtesses, les arrivées et les départs des clients et les plannings bateaux. Et je suis devenu ce que je voulais faire depuis toujours : être une voix off et une comédienne.
En métropole, je n’y arrivais pas. Voix off et comédienne, je désirais faire ça depuis toute petite.
J’étais timide, tu vois ! À l’époque, on n’avait pas les cours de théâtre au lycée. Je n’avais pas les clés pour y arriver et donc j’avais renoncé. Je m’étais dit, ça sera pour une autre vie !
À Gosier nous habitions à côté du plus gros studio d’enregistrement de la Caraïbe et un jour, je suis allé les voir. J’ai fait un essai, ça a marché et j’ai fait un premier spot publicitaire !
Le lendemain, j’ai appelé toutes les radios, les télévisions. J’ai dit, je suis voix off alors que je n’avais fait qu’un spot ! Un mois après, une chaîne de télé m’a embauché pour être leur voix, et puis voilà. Ensuite j’ai connu une comédienne qui ouvrait un cours de théâtre.
Effectivement, quel destin ! Finalement, la Guadeloupe t’a permis de réaliser tes rêves. Je comprends mieux pourquoi tu es restée. J’en profite pour signaler que tu donnes la météo sur Guadeloupe 1ère TV tous les jours à midi ! Parlons maintenant de ton gite. Quand as-tu décidé de l’ouvrir ? Et pourquoi ?
J’ai connu Christophe, mon mari, en 2004. Nous faisions du théâtre ensemble. En 2010, nous avons acheté une maison sur les hauteurs de Bouillante. Il y avait à côté une petite dépendance et ça nous a donné l’idée d’en faire un gite.
J’aimais bien l’idée d’accueillir des gens. Ça me rappelait l’ambiance des voiliers, mais en plus cool. Je n’ai pas fait d’études après la Terminale. Mon rêve aurait été de faire un BTS de tourisme. Finalement, avec les voiliers et le gite j’ai pu travailler dans le tourisme même sans diplôme.
Est-ce que le gite a tout de suite marché ?
Au début, c’était un peu un pari. La tendance était déjà d’aller en vacances en Guadeloupe, mais à Gosier ou Saint-François. Ce n’est que depuis 7 ou 8 ans que Bouillante a pris son essor grâce à la proximité de la réserve Cousteau. En 2015, lorsque la mairie a instauré une taxe de séjour, ils ont dénombré 3000 lits en gite sur la commune !
Cet essor des gites s’explique aussi par le phénomène des grèves dans les hôtels. Et quand le personnel d’un hôtel est en grève ici, il n’y a rien. Même pas de service minimum. C’est d’ailleurs, pour cette raison que le groupe Accor a décidé de quitter les Antilles en 2002. Quand tu vas dans un gite, tu sais que tu n’auras pas la grève.
Au début, nous avons publié une annonce sur le Bon Coin, puis il y a eu les autres plates-formes comme AirBnB et Booking.com. Je me demande d’ailleurs comment les propriétaires de gites faisaient pour se faire connaître avant ? Notre premier gite a rapidement bien marché puisqu’on a eu envie d’en faire un deuxième puis un troisième. Aujourd’hui, nous recevons entre 400 à 500 personnes par an avec une capacité de 14 couchages.
Et pourquoi le nom « 1001 nuits » ?
Beaucoup de gites en Guadeloupe ont adopté des noms comme de faune ou de flore de la région comme « colibri jaune » ou « hibiscus rouge » etc. Nous avons voulu nous démarquer. C’est Christophe, mon mari, qui a trouvé le nom. J’ai trouvé que c’était sympa, ça nous démarquait et il y avait le nom « nuit » dedans.
Quels plaisirs retires-tu de ton gite ?
Nous vivons sur une île. Une île c’est un cercle fermé, et très vite tu rencontres toujours les mêmes personnes. Avec le gite, nous élargissons nos relations sociales. Hier soir, par exemple, on a passé un très bon moment à l’étage avec nos 6 clients qui étaient là. On a bien rigolé avec eux ! Et, puis il y a des gens qui sont devenus des amis chez qui on va aussi en métropole.
Qui sont les clients de ton gite ?
Ce sont essentiellement des Français. Lorsque l’on avait la chance d’avoir la compagnie Norwegian qui assurait des vols vers les US et le Canada, nous avions des Canadiens et des Américains. On a eu quelques Belges, quelques Allemands, mais vraiment très peu.
Notre gite n’a ni piscine ni climatisation. Du coup, nous avons une clientèle de randonneurs, des plongeurs, des gens qui aiment la nature quoi, qui s’en fiche complètement, d’avoir une piscine, un jacuzzi ou la télé dans leur gite.
Mes amis qui ont un gite avec piscine et climatisation ont un autre type de clientèle. Peut-être plus casanière et exigeante ? Elle reste dans le gite et ne visite pas l’île. Clairement, ces personnes m’intéressent moins.
Sinon pendant les vacances scolaires j’ai pas mal de familles. Hors vacances, on va avoir des retraités qui demeurent plus longtemps ou des familles avec des enfants en bas âge.
Depuis un an, on a un nouveau cas de figure : ce sont les télétravailleurs. Leur exigence c’est le wifi. Il doit être impeccable, évidemment. Ils sont plutôt dans la trentaine et travaillent dans l’informatique.
Tu connais bien la Guadeloupe. Quelles sont tes recommandations pour de nouveaux visiteurs ?
Déjà, ne pas aller à Grande Terre. Enfin, sur un séjour un peu long, peut être que tu peux, par curiosité. Mais franchement, moi je n’aime pas.
C’est moins joli que Basse-Terre et l’ambiance est différente. Il y a plus d’embouteillages et des endroits que je trouve moches. Notamment des maisons pas finies. Compte tenu des vents, ils ont plus d’ennuis de sargasse que sur notre côte.
Et il y a les problèmes d’eau. Pour des raisons assez complexes, le réseau d’eau n’a pas été entretenu et aujourd’hui la Grande-Terre a pas mal de difficultés pour distribuer l’eau. Les coupures sont fréquentes et les touristes ne le comprennent pas toujours. Je plains mes copines qui ont des gites là-bas.
Où je suis situé est plutôt idéal. Bouillante est très central sur Basse-Terre. On accède facilement au nord vers Deshaies, au sud vers Basse-Terre et vers la Grande-Terre par la route des mamelles. Nous sommes à côté du Parc National et donc c’est protégé. On n’a pas le droit de construire, de faire tout et n’importe quoi.
Il y a une période que j’aime beaucoup et que je recommande : c’est la saison des pluies. Pourtant en général on ne conseille pas de venir à cette époque. Elle s’étend de juin à novembre. Ce que j’aime bien est que tu te sens vraiment sous les tropiques. Il ne pleut pas souvent, mais quand il pleut, c’est une bonne grosse pluie tropicale bien chaude. Le reste du temps, il fait beau. Il fait très chaud et je prends des douches toute la journée, mais je me sens bien. J’aime l’ambiance.
À l’inverse, je n’aime pas trop décembre/janvier. Il y a du vent et souvent il ne fait pas beau avec un ciel couvert et pas mal de pluie. Du coup, cela met mes clients de mauvaise humeur et ça joue sur mon moral !
Et donc, après 30 ans, te vois-tu revenir en métropole ? Qu’est-ce qui a changé en Guadeloupe ?
D’abord, on ne dit plus Métropole, mais Hexagone ! Métropole a une connotation colonialiste, semble-t-il ! Non, je ne me vois plus revenir dans l’Hexagone. Mes repères sont ici maintenant.
Il y a quelques années, j’étais en vacances en France et je vais dans une librairie à Valenciennes, je lève mon visage et je vois quelqu’un que je suppose Antillais. Mon visage s’est éclairé et je lui ai souri. Il a dû se demander pourquoi d’ailleurs. Mais en le voyant je me suis dit que la Guadeloupe c’était bien chez moi !
Qu’est-ce qui a changé en Guadeloupe ? Difficile à dire. Ce sont souvent ceux qui reviennent de temps en temps qui perçoivent le mieux le changement. Il y a une évolution que j’aurais voulu voir, mais qui n’a pas eu lieu, ce sont les mentalités. On n’a toujours pas tourné la page de la période de l’esclavagisme. Elle crée des tensions et une mentalité très revendicatrice. Les histoires de grève encore là, j’en ai marre.
Sur le côté positif, nous avons plus de magasins. L’arrivé de Décathlon ou de Nature & Découverte ici j’étais contente. Ce que j’aime en Guadeloupe aussi, c’est qu’on est vraiment beaucoup moins sur la société de consommation. Ici, je suis en tong 300 jours par an et on est, on est beaucoup moins tenté d’acheter des tonnes de vêtements. J’aime bien ça et ça n’a pas changé.
Il y a un truc pour lequel j’ai du mal à m’y faire c’est que tu ne peux rien faire sans voiture. Ce n’est pas possible ! Avant j’avais toujours vécu en ville. Je n’étais pas habitué. Ici, j’habite en haut d’une côte et ne serait-ce que pour aller acheter ton pain il faut conduire.
Alors, pour moi les vacances quand je rentre en Hexagone c’est la ville ! j’ai besoin de retrouver les cinémas, les restaurants, me mêler dans la foule, voir de nouvelles têtes différentes à chaque fois. Mais au bout de 10 jours, j’ai envie de revenir, m’occuper de mon gite et voir mes chiens. Être chez moi à Bouillante !
Comment faire pour réserver l’un de tes trois gites ?
Le plus simple est de me contacter par internet ici
Merci Sophie. Cela me fait plaisir de voir que ta vie a été un beau voyage et que tu as implanté de nouvelles racines ici. Un dernier mot de conclusion pour les lecteurs de mon blog qui souhaitent venir en Guadeloupe ?
La Guadeloupe est une destination nature. Ne venez pas pour des gites luxueux que l’on voit sur des revues. Acceptez les petits inconvénients comme un cafard qui sortira de son trou après la pluie, ou une météo parfois capricieuse. Laissez-vous surprendre par la beauté de l’île et sa nonchalance. Ne cherchez pas à trop faire, mais profitez des plaisirs simples de la Guadeloupe.
belle interview ! Merci Jacques et Sophie
Tres belle entrevue 😊
Merci, Jacques de me ramener sur les terres et dans les souvenirs de mes aïeux et à Sophie, avec laquelle je partage la préférence pour Basse-Terre (vue de ma toute petite expérience) et qui me donne bien envie d’un prochain séjour…
Merci France !
Je viens de découvrir votre blog, et je m’y réserve quelques heures de lecture avec joie !
Merci à vous.