Devons nous arrêter de voyager ?
Voyager est un désir très fort en nous, mais son essor rapide n’est pas sans conséquences pour la planète et ses habitants. Réfléchissons un peu sur ce dilemme.
Pourquoi voyageons-nous ?
Écrire un blog de voyages oblige à se poser des questions. La première est bien évidemment presque existentielle : pourquoi je voyage ? À vrai dire, je ne me l’étais jamais vraiment demandé. Comme la plupart d’entre vous, j’imagine ?
Pourtant nous vivons toujours une crise sans précédent avec le Covid. Elle a bien sûr été avant tout sanitaire. Mais c’est aussi celle du voyage. Une grande partie du monde s’est retrouvée figée. Que nous soyons riches ou pauvres, les confinements successifs et les fermetures de frontières nous ont obligés à une sédentarisation globale et forcée. Même en cette fin d’année 2021, de nombreux pays, surtout en Asie, reste inaccessible. De nouveaux variants pourraient encore prolonger cette crise.
C’est une bonne occasion pour prendre du recul et se poser quelques questions sur nos rapports avec le voyage. Pourquoi voyageons-nous ?
Je vous propose une première réflexion personnelle que j’ai organisé en deux temps.
Dans une première partie, dressons un constat sur le voyage et ses conséquences :
- Quelles sont les raisons de voyager ?
- Quelles sont les raisons de ne pas voyager ?
- Faut-il opposer le bon voyageur au mauvais touriste ?
- Demain pourrons-nous encore voyager ?
Dans une deuxième partie, réfléchissons sur les solutions pour continuer à voyager de façon plus durable :
- Réduire l’impact environnemental des transports
- Mieux réguler le tourisme pour le rendre acceptable
- Améliorer le comportement des voyageurs-touristes
Puis ma conclusion
Tous les textes en couleur corail indiquent un lien interne ou externe.
Quelles sont les raisons de voyager ?
J’ai fait une petite enquête sur internet en lisant les blogs de voyage et j’ai été surpris par le nombre de raisons invoquées. Je vous en liste quelques-uns :
- Par curiosité
- Pour se détendre ou se ressourcer
- Pour voir de belles choses ou de beaux endroits
- Pour faire de nouvelles rencontres
- Pour apprendre, se cultiver
- Pour se dépenser physiquement
- Pour rompre le quotidien
- Pour faire envie
- Pour faire de l’activité physique
- Pour nous retrouver avec nous même
- Pour oublier
- Pour nous mettre en scène sur les médias sociaux
- Pour se rassurer
- Pour rêver
- Pour voir la famille ou les amis
- Pour se reconnecter avec la nature
- Pour avoir du soleil
- Pour payer moins cher
- Parce que tout le monde le fait
- Pour apprendre une nouvelle langue
- Pour pousser ses limites
- Pour apprendre tout simplement
- Pour se faire peur sans grand risque
- Parce que les blogueurs nous disent que c’est fabuleux
- Parce que c’est devenu facile
Et je suis sûr que j’ai oublié plein d’autres raisons ! J’ai parcouru de nombreux blogs et sites d’agents de voyage. Il en ressort que la fascination pour le voyage est largement partagée. On a presque l’impression que le voyage est l’expérience humaine ultime.
Je vous livre quelques extraits :
Le voyage comme une des expériences humaines ultimes ?
Cette fascination du voyage m’a un peu troublé. J’aime bouger et le voyage fait partie depuis toujours de ma vie. Mais n’est-ce pas excessif de placer cette expérience humaine aussi haut ?
Si vous n’êtes pas content dans votre vie, le voyage sera, au mieux, une parenthèse agréable, et il y a de grandes chances que cela ne vous changera pas. Au retour, vous aurez certainement la déprime qui vous tombera dessus. Personnellement, j’ai toujours aimé partir, mais aussi rentrer chez moi. C’est même un moment que je savoure heureux de ce que j’ai entrepris !
Quelles sont les raisons de ne pas voyager ?
Alors, j’ai inversé la question : pourquoi ne pas voyager ? Ce qu’il y a de bien avec Google c’est que l’on a vite des réponses :
- Parce que ça pollue
- Parce que les locaux ne veulent plus des touristes
- Parce que c’est fatigant
- Parce que le monde s’uniformise
- Parce qu’il y a des régimes politiques qu’il faut boycotter
- Parce qu’il y a trop de touristes
- Parce qu’on a tout photographié
- Parce que tout se retrouve sur Instagram
Les blogs sont beaucoup moins riches sur ce thème. Je n’ai trouvé qu’une seule citation que j’ai eu envie de vous faire lire :
La culpabilisation du voyage
Sur internet, j’ai surtout trouvé de nombreuses injonctions comme quoi il ne faut plus voyager en écho à la crise climatique. C’est l’avion, gros émetteur de CO2, qui est désigné comme le coupable.
Les excès du tourisme sont une raison pour nous pousser à ne plus voyager. Un de ceux qui nous incite le plus à renoncer au tourisme, et donc au voyage, est le sociologue Rodolphe Cristin. Il a notamment publié le manuel de l’anti-tourisme.
L’approche de Rodolphe Cristin est radicale, mais elle obéit à une logique. Le voyage et le tourisme sont une industrie. Plus elle est importante, plus elle rapporte de l’argent et plus elle est destructrice.
Dubrovnik est l’un des exemples les plus flagrants de cette dérive : 97 touristes par an et par habitant ! La ville a perdu son âme. Des sens uniques ont même été instaurés pour tenter de réguler les flux de touristes déversés par les immenses paquebots de croisières.
Cette vision très négative du voyage et du tourisme me semble aller trop loin. Les pays où le tourisme n’existe plus sont souvent retournés dans un état soit de guerre, de désolation économique ou de privation de liberté. J’en ai personnellement visité deux qu’il est aujourd’hui impossible d’accéder : le Yémen et la Syrie. Cela me rend très triste.
Faut-il opposer le bon voyageur au mauvais touriste ?
Alors, voyager : est-ce l’expérience humaine qui mène à une émotion suprême ou celle qui conduit à la destruction de notre planète ? Posé comme cela, la question est plutôt perturbante.
Comme souvent la réponse est entre les deux et complexe. Elle est aussi évolutive. Ce qui était vrai il y a 30 ans ne l’est plus forcément aujourd’hui et encore moins dans 20 ans.
Toujours en explorant la toile j’ai lu que beaucoup de blogueurs font la distinction entre le bon voyageur, ce qu’ils sont, et le mauvais touriste, ce que sont les autres.
J’ai trouvé un blog qui résume bien ce qui différencie les deux ; le tout dit dans un délicieux accent québécois :
Devons nous combattre le tourisme pour sauver le voyage ?
La conclusion est limpide : combattons le tourisme pour sauver le voyage. Moi voyageur je suis dans le vrai et je peux continuer à le faire. Arrêtons les touristes qui se rendent en « low cost » pour s’enfermer dans des resorts avec pour seule motivation le soleil et la fête !
Je vous avoue que cette distinction m’a plutôt dérangé. Tout d’abord, nous sommes tous touristes ou voyageurs à un moment ou l’autre. Si le voyage s’est démocratisé, c’est grâce au tourisme. Les avions pas chers, le choix très vaste d’hébergement, la facilité de savoir quoi visiter ne sont devenus possibles que grâce au développement du tourisme de masse.
Une vision élitiste embarrassante
Ensuite, c’est une vision très élitiste du voyage avec le voyageur que l’on imagine curieux, respectueux, humble, ouvert aux autres et sobre. Alors que le touriste est forcément vulgaire, égocentrique, pollueur et consumériste. C’est caricatural.
Les parents qui économisent toute l’année pour emmener leurs enfants chez Disney sont aussi estimables que le jeune millénial qui bourlingue, sac au dos, en prenant des transports locaux pour soigner son empreinte écologique.
Demain pourrons-nous encore voyager ?
Je crois qu’à l’aube de 2022 il est essentiel de se poser la question. Si rien ne change, le voyage et le tourisme continueront à se développer, mais en créant des problèmes toujours plus importants qui provoqueront leur chute.
Je pense que cela vient autant du plus grand nombre de voyageurs-touristes que des comportements. Le paradoxe est que d’une part il est louable de vouloir démocratiser le voyage en l’ouvrant à plus de monde, mais que d’autre part, peu d’endroits sur la planète sont en mesure d’accueillir beaucoup de touristes.
À ce jour je distingue trois problèmes majeurs à résoudre :
- Le premier est d’ordre environnemental. Voyager nécessite de prendre des moyens de transport qui ont un impact écologique important.
- Le second est lié à la capacité d’accueil des destinations touristiques. Or le niveau de saturation est éminemment variable selon les lieux ou les villes concernés.
- Le troisième est le comportement des voyageurs-touristes. Comment faire pour que le visiteur soit mieux accepté par les populations qu’il visite ?
Pour que le voyage ne soit pas réservé qu’à une petite élite tout en le préservant de ses excès, il va falloir être imaginatif et engager la réflexion à plusieurs niveaux et surtout le réguler.
C’est que nous allons voir ensemble dans la deuxième partie de ce article
Réduire l’impact environnemental des transports
Voyager fait nécessairement appel aux transports qui ont un impact environnemental non négligeable.
La caractéristique de cette industrie est d’être un réseau. Toute régulation doit se faire au niveau mondial ou, au minimum, continental.
L’avion, vraiment seul coupable ?
L’aviation est pointée du doigt comme la grande coupable des dérives environnementales du tourisme. Pour certains, arrêter de voyager en avion permettrait de résoudre en partie l’équation.
Consciente de cette accusation, les compagnies aériennes, par l’intermédiaire de IATA, ont pris l’engagement de devenir 0 émetteur de CO2 en 2050. Est-ce satisfaisant ? Est-ce trop lointain ? Faut-il amorcer une décroissance du transport aérien ? Je n’ai pas la prétention d’y répondre, car je n’ai pas l’expertise suffisante pour le faire.
La seule chose que je sais est que le transport aérien est une industrie globale ou mondiale.
Par exemple, interdire l’avion sur les trajets européens de moins de six heures en train comme l‘exige Greenpeace n’a aucun sens si on laisse les compagnies du Golfe libres d’opérer en Europe. Dans ce cas les passagers qui veulent se rendre en Asie transiteront à Doha ou Dubaï au lieu de Paris ou Francfort. Le récent accord de ciel ouvert avec le Qatar me pose beaucoup de questions de ce point de vue.
Est ce que le train est si écologique qu’on nous le dit ?
À l’inverse, le ferroviaire est cité comme le transport écologique par essence. J’adore prendre le train, mais je pense que cette affirmation est parfois de l’ordre de la croyance. On en sous-estime souvent l’impact environnemental en n’incluant pas les sources d’énergie ou les infrastructures.
En France, le train circule grâce à au nucléaire moins émetteur de CO2, mais controversé sur d’autres points. Par ailleurs, 45 % du réseau ferroviaire de l’Union européenne n’est pas électrifié et donc nécessite d’utiliser de l’énergie fossile.
La réalisation d’une nouvelle ligne TGV n’est pas toujours pertinente. Ainsi, la Cour des comptes note que « L’impact de la construction des LGV (Lignes à Grande Vitesse) sur les milieux naturels, quoiqu’inférieur, ne diffère pas fondamentalement de celui des autoroutes ». actu-environnement.com
Cela implique donc d’avoir une approche globale, ou au minimum au niveau d’un continent, pour définir de nouvelles règles du jeu plus protectrices de l’environnement, mais qui prend aussi compte de l’importance des échanges à travers le monde.
Complémentarité et sobriété
Posons-nous donc la question de la complémentarité des modes de transport plutôt que de les opposer les uns aux autres. Si nous voulons pouvoir continuer à voyager dans l’avenir, les réflexions sur une utilisation des modes de transport compatible avec les contraintes environnementales doivent être accélérées.
Plus de sobriété sera vraisemblablement nécessaire. Voyager moins pour voyager mieux ? C’est une question que l’on doit se poser.
De ce point de vue, est-ce bien raisonnable de faire des campagnes promotionnelles sur des prix dérisoires ? Le consommateur a maintenant une référence de prix qui ne reflète pas la réalité du transport, en particulier aérien.
Or prendre l’avion ne doit pas être quelque chose d’anodin ou banal. Il faut se rappeler que c’est extraordinaire et de pouvoir se déplacer de façon aussi rapide à l’autre bout du continent ou même du monde. Les compagnies aériennes ont une responsabilité sociétale dans ce domaine. A l’affût de croissance, elles ne l’assument pas toujours.
Mieux réguler le tourisme pour le rendre acceptable
D’autres industries jouent un rôle important dans les excès du tourisme. On peut citer l’hôtellerie, les croisiéristes ou les tour-operators. Ainsi, est-il raisonnable de continuer à construire des mégapaquebots de milliers de personnes que les escales desservies sont incapables d’accueillir ?
De nouvelles mesures de protection doivent être prises par les pouvoirs publics que ce soit au niveau d’un état, d’une région ou d’une ville. A titre d’exemple, citons :
- Amsterdam qui a adopté des initiatives intéressantes pour revitaliser son centre-ville en limitant les excès du tourisme
- La Thaïlande a fermé au tourisme la plage de Maya Bay pendant trois ans pour permettre à l’écosystème de se régénérer.
- Après moults débats, Venise a enfin pu limiter l’accès des mégapaquebots dans la cité lagunaire.
- Paris régule les locations AirBnB.
Des mesures plus coercitives seront certainement nécessaires pour préserver l’avenir du voyage et du tourisme. La clé est que les réglementations permettent au tourisme de rester à un niveau acceptable tant pour préserver l’environnement que son acceptation des touristes par les populations locales.
À ce titre, j’en profite pour souligner une initiative d’agents de voyage français qui ont souhaité remettre en question leurs pratiques dans le cadre de l’association Respire.
Améliorer le comportement des voyageurs-touristes
Les professionnels du transport ou du tourisme doivent jouer aussi un rôle d’éducation en apprenant à leurs clients à voyager de façon respectueuse. Trop souvent l’appât du gain l’emporte sur cet objectif.
Le voyage ne doit pas être considéré comme un produit mais comme une expérience. Le professionnel du tourisme a avant tout un rôle d’accompagnement pour faciliter cette découverte de l’ailleurs. Sa responsabilité est de s’assurer que ses clients soient respectueux de l’environnement et des populations visitées.
Au niveau individuel, nous sommes aussi acteurs pour faire en sorte que nous puissions à continuer à voyager demain.
Cela passe d’abord par une introspection : pourquoi voulons-nous voyager ? Est-ce que les bénéfices de mon voyage sont supérieurs aux inconvénients pour :
- moi-même ?
- les populations que je vais rencontrer ?
- l’impact que je vais avoir sur l’environnement ?
Il n’y a pas de réponse toute faite. Si chacun peut, en son âme et conscience, se poser la question et adapter son besoin de voyager et son comportement, je crois sincèrement que nous ferions de grands pas.
Pour vous aider dans votre analyse, vous pouvez parcourir le site Agir pour un tourisme responsable à la lumière de vos propres habitudes de voyage.
Cette réflexion personnelle sur le voyage n’est qu’un début
J’avoue que commencer un blog sur les voyages en 2021 m’a obligé à me questionner.
N’était-ce pas aller à contre-courant de nos préoccupations environnementales ?
Allais-je, même si je m’adresse à une audience restreinte, contribuer à un mouvement négatif pour la planète et pour ses populations ?
Mes réflexions m’amènent à penser que le voyage est un besoin trop puissant pour l’homme pour le réfréner. Il lui apporte beaucoup de bienfaits, mais pratiqué de façon excessive, il peut devenir très dommageable pour les autres et la planète.
Avec mon blog, je souhaite vous procurer modestement quelques perspectives et témoignages.
Cet article est ma première tentative de débattre sur ce sujet difficile et complexe. Il prend aussi une dimension angoissante en particulier pour la génération Z qui veut voyager mais a très peur pour l’avenir de la planète. Je crois cependant qu’il faut essayer de garder la tête froide et ne pas se laisser entraîner par ses émotions.
J’aurai par la suite de nouvelles occasions d’y revenir. Vos éclairages et vos commentaires sont également les bienvenus pour m’aider à aller plus loin !
Bonjour Jacques,
Ton analyse est pertinente et je partage ton point de vue. Les femmes et les hommes ont toujours voyagé, d’ailleurs n’est-ce pas cet appel de la découverte qui pousse aux futurs voyages vers Mars ? L’éducation pour un tourisme responsable qui respecte les habitants des zones visitées me semble indispensable, mais je ne suis pas pour un tourisme élitiste. Si des milliardaires peuvent s’offrir quelques minutes en apesanteur, les personnes plus modestes doivent pouvoir aller admirer les pyramides. C’est aussi une responsabilité des organisateurs de voyages de changer l’image du voyage. Je pense également que les progrès techniques pourraient vite conduire à des moyens de déplacement moins polluants, et cela se fera s’il y a une réelle volonté politique, donc des budgets, sur ce sujet. Mais le voyage reste quand même la meilleure façon d’ouvrir les esprits et de lutter contre le racisme en tout genre! Merci pour cet article.
Très belle réflexion sur un sujet qui nous travaille tous, ou du moins les amoureux du voyage et des autres cultures. Comme souvent c’est le pendule de la vie qui en passant d’un extrême à l’autre nous fait reprendre conscience que la stabilité se trouve en position intermediate. Loin des excès de tout bord.
Bonjour Jacques,
Je découvre, au hasard d’internet, ton blog; belle initiative et de belles réflexions sur le voyage. Pour ma part, tout comme toi, j’ai eu très tôt la fièvre des voyages, un grand père officier mécanicien dans la marine marchande, un père capitaine au long cours, des années d’expatriation de mes parents en Algérie; le bateau, l’avion étaient pour moi, dès mon plus jeune âge, des moyens de transport naturels.
Mais surtout les voyages ont été pour moi une formidable éducation et m’ont donné une ouverture d’esprit que je n’aurais jamais acquise sans cela. Alors oui soyons attentifs à notre planète mais n’arrêtons pas de voyager car c’est ainsi que nous apprendrons le mieux la tolérance, le vivre ensemble et le respect des autres indispensables si nous voulons vivre en harmonie. Peut être utopiste mais je le pense profondément. Amicalement Jean Christophe
Bonjour Jean-Christophe,
Merci pour ton retour. Ce n’est pas un hasard si nous nous sommes retrouvés dans une compagnie aérienne ensuite !
Amitiés
Jacques